Beat Raymundi Lulli Doctoris Illuminati et Martyris.
Operum, gravure, tomus III, M DCC XXII.
Toute la création se trouve être le reflet inversé du Principe qui seul possède l’« Êtreté ». Dans l’islam, le croyant qui proclame la Sahahâda devient le miroir du Nom divin qu’il reflète et qui le reflète[13]. La création est Illusion, Maya, parce que l’humain prend ses concepts pour la Réalité, alors qu’ils sont vides de nature propre[14]. En science profane, le principe d’incertitude d’Heisenberg remet en cause bien des choses dans le domaine scientifique et la physique quantique se rapproche étonnamment de l’essentiel de la Tradition primordiale. Partout les paradoxes font vaciller la raison qui ne pourra jamais énoncer que des hypothèses souvent prises à tort pour des certitudes ! Le miroir de la création comme celui de la raison, se voile, et qui ne connaît le commencement ne peut dévoiler la fin[15], l’aboutissement ultime de ce qui est créé.
Matériellement, le miroir n’a de sens que pour les yeux qui le regardent. Qu’est notre œil, déjà au niveau physique ? Un chef-d’œuvre de complexité ! Et les mots choisis pour le décrire ne sont pas sans signification. Il explore le monde visible et s’aide pour cela d’une quantité d’instruments d’optique pour pénétrer l’indéfiniment grand comme l’indéfiniment petit. Mais c’est toujours le cerveau qui interprète la vision ! C’est pourquoi il a été dit que chacun crée sa représentation du monde et « qu’on ne voit bien qu’avec le cœur[16] ».
Tout se révèle comme illusion d’optique. L’habitude nous fait oublier l’inversion dans le miroir découlant de la vision que Lewis Carroll fait découvrir à la petite Alice[17]. Comment apprécier le miroir sans connaître les lois de la réflexion ? Le miroir est plan, l’image virtuelle est inversée ; et toujours le miroir reste vide ne gardant apparemment aucune trace visible de ce qu’il reflète ! Cela demande à être sérieusement approfondi… D’autant qu’il conviendrait de distinguer « réflexion » au sens de « réfléchir » et « réflection » au sens de « refléter » ? Pourtant, dans notre langue actuellement, un seul mot est utilisé pour ces deux acceptions : « réflexion » !
Les techniques de réalité virtuelle, VR, rendent de grands services en soin et en chirurgie actuellement, mais sèment encore plus la confusion entre ce qui est réel pour le malade, l’infirmité, et ce qui est virtuel : ce que devrait être l’organe sain !
Le miroir de Saint-Eloi (détail).
Christus, 1449, New-York.
Les lois de la réfraction expliquent la décomposition de la lumière blanche par le prisme pour donner les six couleurs de l’arc-en-ciel[18]. Et les miroirs déformants multiplient le jeu des illusions d’optique qui sont déjà nombreuses naturellement. L’anamorphose[19] est intéressante aussi et elle est mise en parallèle avec les déformations mentales qui créent la contre-nature ; ce qui éclaire les lois qui président au retour à cette nature.
Quelle est la place de la raison dans la compréhension de soi, de son monde et du monde ? Elle ne peut suffire, surtout si elle étouffe l’intuition comme le fait le scientisme. Il existe un « voir » qui n’a pas de rapport avec les yeux. La perte des certitudes apprises est donc nécessaire pour que l’Œil du Cœur puisse s’ouvrir.
Vénus et Cupidon
Ce livre traite aussi du miroir du divin et de celui de l’ego. Le miroir est très souvent l’attribut solaire de la divinité, principalement de la Prudence mais aussi de la sirène. Reflétant la gloire divine, les rois de la terre se l’approprient pour une gloire orgueilleuse et ostentatoire. Ainsi Louis XIV put-il faire construire la galerie des glaces du château de Versailles. Quelques notions sur les inventions pratiques dans ce domaine, étamage, glace coulée, miroirs biseautés sont intéressantes ; ces progrès vont de pair avec la multiplication des surfaces réfléchissantes dans la société et de l’autocontemplation qui en découle. Le miroir sert-il à se mieux connaître ou à améliorer son apparence dans l’extérieur pour cacher ce qui ne plaît pas ? C’est pourquoi le sixième chapitre traite du miroir comme de l’attribut de Vénus, et que la religion taxera de miroir du « diable », sans voir que la création tout entière est le miroir du Grand Séducteur ! Beaucoup de croyances populaires traduisent la peur des voleurs d’âme qui se servent du miroir pour cela !