"Le Miroir, symbole des symboles"

paru aux Editions Dervy, 1995.
Deuxième édition 2011 :
Editions du Cosmogone, Lyon.

Seule quelques extraits
et une iconographie plus complète sont présentés sur ce site.


 
 
Conte de Vicdolu :

Comment voir le réel

lorsque la vitre devient miroir ?


ou le jeu des miroirs qui se font face...
 

Tous les matins, Vicdolu descend à pas feutrés de sa chambre à son salon, pour aller prendre son petit déjeuner. Il y va, toute lumière éteinte, car avant de s’installer, il aime bien descendre l’escalier et parcourir dans toute sa longueur la pièce dans le noir. Le but de son aventure est toujours le même : il va jusqu'à la fenêtre, pour ouvrir les volets et y voir clair. Cela lui procure une certaine satisfaction de pouvoir se raconter à lui-même son incroyable audace de réaliser une fois de plus cet exploit : marcher dans le noir sans repères. C’est, à ses yeux, un acte chevaleresque qu’il accomplit par devoir envers lui-même tous les matins, en affrontant seul ses chimères et les obstacles, cachés, il en est sûr, dans les ténèbres du salon.

Mais l’action héroïque ne s’arrête pas là, la fenêtre donne directement dans un bois et elle se trouve juste en face de sa place. Une place, qui n’est qu’un simple coin de table repéré par sa chaise, mais c’est une place dont il en est le Roi incontesté, et dont il jouit en toute propriété, comme une empreinte de lui-même. Il a bon espoir par cette pratique matinale, de voir dehors, là, devant lui, un animal sauvage, même si souvent ce n'est juste qu'un de ses chats, il y a parfois un renard, occasionnellement une biche, ou toutes autres choses encore bien plus rares... C’est une opération délicate, pleine de sensibilité, de tact. Elle est le fruit d’expériences répétées, et qui demandent le plus grand silence. C’est un acte, qui impose un grand savoir-faire, il pourrait d’ailleurs écrire un livre sur cette pratique et ces subtilités, et reproduire par le dessin toutes ses visions animalières, accumulées au cours des années à pratiquer cette noble chasse…

En général, Vicdolu prend mon petit déjeuner entre sept et huit heures, parfois bien plus tard. Mais, ce matin du mois de mars Vicdolu s’est levé plus tôt, emporté par la fièvre d’un rêve, qui lui a apporté la sève d’un nouveau défi imaginaire porté directement au Roi du bois. Il fait encore nuit noire dehors. La nuit du salon, n’est pas encore en compétition avec la nuit du dehors, et elles se confondent, bien malin qui pourrait dire laquelle va se déverser dans l’autre.

Arrivé sans encombre au bout du salon, il en vient sans problème à ouvrir la fenêtre avec grand art et application, puis il saisit la poignée intérieure des volets d’une main sûre, et avec une précision nanométrique, dans un silence absolu, il rabat doucement les volets, en direction des murs d’enceinte du château de son rêve du matin.

L’opération est effectuée avec succès, comme d’habitude, mais le voici seul, planté là, comme invisible, pris en sandwich entre deux néants. De sa position improbable, il essaye vainement de contempler les ombres du bois, qui devraient logiquement se présenter à lui dans la brise matinale. Mais, Il ne perçoit ce matin que des formes folles, et il ne voit rien d’autre que des ténèbres à travers des fantômes d’arbres, qu’il sait portant proche, et dont il se remémore difficilement les emplacements. Il est simplement saisi par la fraicheur extérieure, venant de nulle part, et dans son silence il n’entend que quelques bruits inaudibles, accompagnés de vagues odeurs.

Déçu, de n’y voir goute, il ferme doucement la fenêtre dans un mouvement empreint encore d’espérance, et qu’il accompagne de nouveau d’une grande précision. Il continue malgré tout à déployer son art, pour ces Rois invisibles. Mais, une fois la fenêtre fermée sans un souffle, le voilà coupé subitement des perceptions et des bruits dus dehors qui lui fournissaient une improbable limite. Une simple limite, qui se confrontait déjà à lui, tout en lui donnant forme, pour le déploiement d’une joute épique, et le voici renvoyé instantanément à lui-même, dans sa propre nuit noire.

Cependant, l’âme du chasseur qui l’habite l'engage à continuer d’observer le bois invisible à travers ce qu’il sait être la fenêtre, qui lui coupe maintenant le passage en silence. Il a encore l’espoir de capter un mouvement, pour enfin nourrir son désir d’une nouvelle vision. Et à pas lent, et compter, il se dirige à reculons, vers l’interrupteur.

Au moment même, où il appuie sur le bouton magique, la lumière jaillit dans la pièce, et la salle s’illumine de mille couleurs, découvrant le champ de bataille, et il peut rejoindre son trône de bois blancs, qui garde sa place. Dans un nouvel effort, aidé de la lumière qui inonde la pièce, son regard se concentre naturellement dehors, et il s’apprête à traverser cette porte vitrée qu’il n’a pas quittée des yeux, alors même qu’il ne faisait que l’imaginer quelques instants auparavant. Cette fenêtre, la source future de son plaisir, située juste là, en face de lui, comme un dernier rempart à son désir de surprendre cette présence sauvage, qu’il espère se révéler à ses yeux, par la puissance magique de la lumière des hommes.

Mais surprise, juste en face de lui il voit un animal d’une tout autre nature que celle attendue, là en face de lui, il se fait face et il peut se contempler à loisir, alors que rien ne devait faire obstacle entre lui et le bois, en dehors de cette fenêtre, une simple séparation située entre ces deux mondes que sont le dehors et le dedans, et qui forme maintenant un nouveau couple à son image.

C’est la vitre, pourtant transparente, qui par un mystère taquin vient de se transformer en miroir, et lui interdit sans aucune sommation de capter de ses yeux les ombres du bois. Alors qu’il est certain que la lumière se propage en dehors du salon et se propage à travers les arbres, en les éclairants maintenant, pour en révéler tous les secrets…

La lumière jaillissante vient de se propager de parte et d'autre, et l’interrupteur a bien permis de rompre quelque chose... Les ténèbres ne sont plus, mais à la place, créant une nouvelle limite qui lui fait face, Vicdolu ne voit plus qu’une image Symétrique à lui-même, un simple mirage des sens… La lumière des hommes et la vitre viennent de s’allier pour créer de force une limitation à son champ de vision, lui interdisant toutes nouvelles découvertes extérieures, en le clôturant de facto entre lui et lui.

Après que les bruits et les sensations du dehors ne soient plus que des pensées du dedans, voici que maintenant, son propre royaume lui interdit le passage de cette porte transparente, que les ténèbres elles-mêmes quelques instants auparavant lui permettaient de passer, mais sans rien lui permettre de voir ?

Vicdolu est comme piégé dans une sorte de bulle miroir dont il formerait lui-même les parois…

Hagard, ne pouvant combler mon désir, las de s'être levé tôt, il a donc simplement observé cet animal sauvage, qui s’offrait à lui tel qui l’est, il a laissé sa royale personne se rendre à son reflet mal réveillé. Contraint par la situation, lâchant l’affaire, Il s’est attardé, et c’est mis à rêvasser sur cette expérience toute simple et facile à reproduire, mais dont il n’avait pas prévu la présence, et toutes ces conséquences.

Il s’est regardé, se regardant se regarder…, porté par cette image, qui venait d’ouvrir une nouvelle porte vers lui-même, en fermant l’autre par trop de lumière… 

Deux miroirs mis face à face, font la joie des grands, et des petits, qui se voie, se dupliquer à l’infinie, lorsqu’ils passent entre eux. Ici et maintenant, lui, il n’était que deux : une image sur la vitre, et..., je ne sais pas trop quoi en face, qui refusait le jeu du multiple avec elle…

Bien sûr, nous avons tous une réponse scientiste à cette histoire, qui nous semble complètement évidente, banale même, mais en est-on bien sûr …

Le temps a passé, le thé posé devant lui sur la table, et qu’il s’était servi comme dans un rêve a fini par refroidir, et alors qu’il était encore perdu dans ses chimères, le Soleil au dehors s’est levé progressivement, sans faire de bruits, tout doucement, avec grand art et une précision cosmologique. Et cette simple image, qui se donnait à voir, et qui prétendait être elle aussi de nature royale, le représentant lui dans toute sa grandeur, depuis l’apparition de la lumière des hommes, a progressivement disparu « dans face de lui-même », comme un mirage qui se dissipe, et ... il a pu s’observer au loin en arbres de la forêt… 

                                                                                                        Vicdolu L.

 

 



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